- Les « jaurías », les meutes de chiens de chasse sont à la fois isolées et ne bénéficient que de très peu de moments de socialisation. Elles sont également exposées à des pics d’excitation maximale qui les empêchent de voir le danger, expliquent les experts en comportement animal.
- Cette association est “déplorable” pour leur état psychologique, estiment-ils. Cependant, les chasseurs insistent sur « l’amour extrême » porté à leurs chiens : « ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre ».
- Même si la vidéo a ternit l’image de la chasse, les associations des défenseurs de la chasse ont obtenus en Andalousie et Estrémadure que la chasse en meute soit reconnue “Bien d’intérêt culturel » (BIC)

// C’est l’essence même de la chasse au gros gibier qui ressort de la vidéo diffusée ces derniers jours sur internet. On y voit un cerf poursuivit par une douzaine de chiens tomber dans un ravin, lors d’une partie de chasse en montagne, une montería : l’exemple d’une meute de chiens qui passent de très longues journées et mois à s’ennuyer, complètement inactive, que l’on lâche tout d’un coup à la poursuite d’une proie. Les chiens atteignent alors un niveau d’excitation extrême où l’unique objectif est le respect des règles imposées. « Ils deviennent aveugles face au danger », expliquent les experts comportementalistes avec lesquels interrogés par eldiario.es.
“Les sorties en pleine nature sont une échappatoire pour ces chiens dont la vie n’a rien de formidable, au contraire, c’est une vie de misère », décrit José Enrique Zaldívar, président de l’association des vétérinaires Avatma. Il ne fait pas seulement référence aux mauvaises conditions physiques « qui pourtant existent », mais également aux très longs moments que passent ces chiens seuls, sans autre compagnie que les autres chiens de la meute, ce qui est très mauvais pour l’équilibre psychique de l’animal.
« La vie est très monotone pour eux. Les chiens s’ennuient ». Cette phrase n’a pas été prononcée par un vétérinaire, mais par un chasseur qui montre dans une vidéo comment ils prépare ses animaux. « Ils n’attendent qu’une chose : qu’on les sortent pour s’entrainer ». On peut ensuite le voir y attacher une dizaine de chiens à un cadre, puis les faire sortir pour courir. Fernando Peláez del Hierro, professeur de psychobiologie, considère que ce qui s’est passé en Estrémadure n’est pas une surprise du point de vue étiologique : « Le degré d’excitation est tel que les animaux ne savent même plus où ils sont. Ils n’ont pas peur du vide, mais beaucoup de chiens n’ont pas peur des voitures non plus. » Peláez del Hierro ajoute que le mode de vie de ces meutes « peut accroître » cette frénésie car « ce sont des races extrêmement actives qui sont sélectionnées et entraînées pour, lorsqu’elles ont la chance de courir, se jeter sur une proie ».

La meute est un élément essentiel de la chasse à cour. Les chiens (24, 30, ou plus), sont lâchés dans des zones montagneuses pour déloger le gros gibier : sanglier, cerf, daim… afin que ces derniers fuient vers les postes où les attendent les tireurs. Lorsque les chiens sont lancés aveuglement sur l’animal, cela peut produire des accidents comme celui visible dans la vidéo.
Javier Bravo est éducateur canin. Il considère que la manière dont ces chiens sont élevés et entraînés à la chasse n’empêchera pas ce type d’accident de se reproduire, au contraire. Pourquoi ? « La surexcitation du chien est telle qu’il est incapable de détecter le danger qu’il encourt. Aujourd’hui, c’est un ravin, mais demain, ce pourra être un clôture électrique ou encore un mur. ». Javier Bravo ajoute qu’il est devenu « normal pour ces chiens d’être dans un état de stress chronique, dû au manque de sociabilisation, au manque d’espace, et au manque de contact avec l’humain. Puis tout à coup, ils sont soumis à une activité intense et excitante comme la chasse à courre. Cela est dangereux pour leur équilibre psychologique ».
Des affirmations que ne veulent pas entendre les propriétaires de ces chiens. Selon eux, l’amour qu’ils portent à leurs chiens est leur moteur, ce qui les fait avancer. Antonio participe aux « monterías » depuis 1990, dans la province de Cordoue. « Voir cette vidéo m’a rendu malade, car il m’est arrivé une chose similaire il y a quelques années », explique-t-il. « A quelques exceptions près, le propriétaire d’une meute de chiens le fait pour l’amour des animaux, et non pas pour l’argent, car cela rapporte très peu. » Ce propriétaire de plusieurs ‘rehalas’ insiste sur le fait qu’il n’a pas besoin de ces chiens pour attraper une proie, mais que les voir profiter de leurs sorties de chasse est un réel plaisir, que ceux qui ne l’ont jamais vécu ne peuvent pas connaître. David, un autre « rehalero », considère que « l’accident du ravin en est un comme les autres ». Il ajoute : « beaucoup des actions que nous menons pour sauver des animaux ne sont jamais relayées. » Cette sensation d’incompréhension est générale dans le milieu de la chasse, et se traduit par une sorte de confrontation entre le monde urbain et le monde rural. « Celui qui veut apprendre devrait devenir chasseur » pouvait-on lire sur un forum dédié à la chasse après la publication de cette dernière vidéo. Selon David, le ‘rehalero’, « ils veulent tout simplement nous détruire ».
La « Fédération Royale de Chasse Espagnole » a qualifié l’accident de la vidéo devenue virale comme « fatal » bien que, comme le reconnaît le ‘rehalero’ Antonio, ce ne soit pas un cas isolé. Bien que les images aient porté préjudice à l’image de la chasse, les groupes de chasseurs ont réussi à amener l’Andalousie et l’Estrémadure à considérer la possibilité de déclarer les monterías et les rehalas comme biens d’intérêt culturel.
Un simple loisirs avec ses « animaux de compagnie »
A défaut d’avoir contribué à ce reportage, l’Assocation des chasseurs espagnols (Asociación Española de Rehaleros) ainsi que l’Association des chasses régionales (Rehalas regionales) présente à l’écrit leur vision de cette activité : « un ‘rehalero’, c’est un chasseur lambda mais à qui son activité coûte plus cher qu’un autre chasseur. Il pratique un loisir romantique, et porte un amour extrême à ses chiens. 365 jours de soin pour 30 jours de chasse. » En 2014, l’association a cependant refusé que le Ministère des finances de Cristobal Montoro contrôle leurs revenus, en faisant passer leur activité pour un simple passe-temps.
Les données choquent. Trois études différentes commandées pour prouver l’importance économique du secteur de la chasse de 2002 à 2018 ont quantifié l’investissement nécessaire pour créer une ‘rehala’. La plus récente, effectuée par Deloitte, explique : « Un ‘rehalero’ espagnol moyen dépense en moyenne 10 140 euros par an ». Une autre analyse réalisée en 2012 par la Fondation pour l’étude et la défense de la nature et de la chasse estime que « la première installation coûte 80 000 euros. Le coût d’exploitation est d’environ 20.000 euros par an. » Les deux études ont estimé à environ 3.000 ‘rehaleros’ opérant dans toute l’Espagne.
Un coup d’oeil aux annonces des activités de chasse suffit à se rendre compte des différents services proposés par les propriétaires de chiens : « Offrons services professionnels grâce à nos magnifiques « rehalas », déplacement compris. Satisfait ou remboursé ». Un autre chasseur assure qu’il accomplira « toutes les attentes du client ». « Il y a beaucoup de pression sur les chiens afin qu’ils remplissent les objectifs », analyse une autre experte en comportement canin, qui préfère rester anonyme, car elle travaille pour un service public. Les « rehaleros » ont fait en sorte que le gouvernement les écoutent.
En 2002, ces chasseurs avaient assurés que leurs chiens étaient « des animaux domestiques, de compagnie », pour s’affranchir des nouvelles règles sanitaires qui les concernaient si leurs animaux étaient reconnus comme « productifs ». Sur ce point, tous les experts s’accordent à dire que ces chiens ne sont pas des animaux de compagnie. « Ce sont des meutes qui servent à la chasse, c’est différent. Et hiérarchisé. », affirme le professeur Peláez del Hierro. « Une personne qui possède 20 ou 30 chiens ne peut pas les qualifier d’animaux domestiques. », confirme l’éducateur canin Javier Bravo. « Si le chien à été élevé et entraîné depuis tout petit dans le but de chasser en meute, ce n’est certainement pas un animal de compagnie. Si un de ces chiens est retiré de la meute, il ne peut pas se convertir en chien d’intérieur », conclut la troisième experte.
Les « monterías » connaissent leur pic d’activité en ce moment, et ce jusqu’à la fin du mois de février. Les conseils d’Andalousie et d’Estrémadure maintiendront cette proposition pour en faire des BIC (et la protection juridique que cela implique). Le vétérinaire Zaldívar explique qu’il est « très difficile de s’opposer aux chasseurs, mais ce qui est clair, c’est que la chasse avec « rehalas » doit disparaître. » //