« Dans dix mètres carrés » // El Diario // 15.02.17

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// L’aube se lève mais il fait encore froid. La pluie de la nuit s’est infiltrée à travers les barreaux et a trempé le sol. Les murs sont humides. Je suis recroquevillé dans un coin mais je ne rêve plus. Je n’ai pas bien dormi. Je suis tendu toute la nuit parce que les tempêtes me font peur et je me sens seul. Je ne le suis pas. D’autres m’accompagnent, mais il y a longtemps qu’ils ont perdu leur force. J’ai faim.

Je me lève et je m’étire. Je commence à marcher jusqu’à ce que, tout à coup, quelque chose me serre le cou et me force à m’arrêter. C’est une chaîne. La même chaîne à laquelle je suis attaché 24h/24. Parfois, j’oublie que je la porte. Je suis rempli de blessures, même si je ne me souviens plus comment je me les suis faites. Je crie, mais personne ne m’entend. Ils me regardent. Ils pensent que je suis fou de garder espoir. J’ai faim.

Je m’approche de ce qui semble être un récipient. Il est vide. Je n’arrive pas à me rappeler la dernière fois que j’ai pu avaler quelque chose. Je reviens dans mon coin et je sens la boue et les excréments sous moi il me semble. Ce sont probablement les miens. Peu importe si personne ne joue avec moi et me caresse. J’ai toujours un os que j’ai trouvé enterré quand je suis arrivé ici. Grâce à lui je m’amuse. Jouer m’aide à me souvenir à quel point j’aimais courir. Maintenant, je vis enfermé dans dix mètres carrés. Je ferme les yeux mais ça ne m’empêche pas de penser toujours à la même chose. J’ai faim.

Quelqu’un arrive. Je me lève et je crie de toutes mes forces. Les autres m’imitent. Cette fois, l’odeur est différente. Ce n’est pas lui. Je vois qu’ils approchent avec quelque chose dans la main. Ils sont trois. Leur voix résonne affectueusement, ça fait longtemps que je n’ai pas entendu quelque chose comme ça. Ils semblent avoir de la nourriture. Oui, c’est de la nourriture. Je ne peux pas le croire. Eux non plus. La chaîne me serre à peine. Nous nous approchons et cherchons dans leurs mains. Je n’en peux plus. J’ai faim.

Nous avons tout mangé. Je me sens la force de sauter ces barrières. J’ai essayé quand je les ai vu s’éloigner au loin mais je n’ai pas pu. J’aurais voulu qu’ils restent pour toujours. J’espère juste qu’ils reviendront demain. Il me semble que cette nuit il ne va pas pleuvoir. Peut-être que notre chance est en train de tourner. Lentement, je me laisse entraîner dans un rêve profond. Je suis libre et je cours sans m’arrêter jusqu’à perdre haleine. Je suis heureux. Pourquoi les choses ne peuvent-elles pas être ainsi ? Un bruit me réveille. Quelqu’un arrive.

A la fin du mois de janvier, un groupe de touristes a trouvé 12 podencos mal nourris dans une ville agricole de Los Realejos à Tenerife. Les chiens étaient dans un état d’abandon total, ils vivaient dans leurs excréments, remplis de blessures et sans nourriture ni eau. Lorsque le Seprona est arrivé sur les lieux, deux jours après que la plainte ait été déposée, ils avaient disparu. La semaine dernière, ils ont été retrouvés par un groupe de militants dans un endroit proche. Ces militants sont revenus quelques jours plus tard avec une équipe de Mirame TV. Lors de la publication de ce reportage, les podencos ont été de nouveau transférés sans que, pour le moment, l’on sache encore où.

Telle est la triste réalité de nombreux chiens de chasse. Le cas de Los Realejos est le pire exemple de l’utilisation fréquente des animaux comme de simples outils. L’absence de législation forte contre les abus et la passivité des administrations signent leurs condamnations à mort. Dans ces 10 mètres carrés, se concentre toute la cruauté de l’être humain. Ces 12 podencos qui souffrent chaque jour de la faim espèrent que, la prochaine fois, quelqu’un viendra les sauver.//

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